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L’Entropie : tout fout le camp, certes…

Cet article est inspiré par une discussion de comptoir que j’avais eu il y a plusieurs années avec un ingénieur civil. Celui-ci ne voyait pas l’intérêt de se soucier de l’écologie, puisque, de toute façon, tout finit par “disparaître”. Il justifiait cela en m’expliquant le concept d’entropie. Ce à quoi je lui répondais: ok, tout fout le camp, bien mais pourquoi hâter à ce point le processus ?

On vient tous de poussières d’étoiles. Cette matière que nous sommes, ce souffle que nous portons, tout cela est issu d’un processus naturel vieux de milliards d’années. Et tout cela finira par disparaître. Ce n’est ni triste ni dramatique : c’est juste la réalité de l’univers.

La Terre, dans quelques milliards d’années, lorsque le soleil commencera sa transformation en géante rouge, sera déjà inhabitable depuis longtemps.

Ce phénomène porte un nom : l’entropie, ou la tendance naturelle des choses à se désorganiser, à dissiper leur énergie. Tout système, qu’il s’agisse d’une étoile, d’un arbre ou d’un écosystème humain, tend vers une forme de désordre. Le défi n’est pas de s’y opposer, mais de comprendre comment nous, humains, interagissons avec ce processus.

Il est important de préciser que l’entropie n’est pas simplement une mesure du désordre, mais aussi de la dispersion de l’énergie. Un système à haute entropie est un système où l’énergie est dispersée de manière uniforme et n’est plus disponible pour effectuer un travail utile. Les systèmes vivants, grâce à leur capacité à extraire de l’énergie de leur environnement, parviennent à maintenir un état de basse entropie, mais cela se fait toujours au prix d’une augmentation de l’entropie de l’univers dans son ensemble.

L’homme et ses outils accélèrent le désordre

Aujourd’hui, l’humanité est passée maître dans l’art d’extraire l’énergie du système… et de la gaspiller. En cherchant à faciliter notre vie, à produire davantage et plus vite, nous avons créé une machine qui accélère l’entropie à une échelle jamais vue.

Prenons un exemple simple : les combustibles fossiles. Ce sont des millions d’années de soleil concentrées dans un carburant utilisable. Et que faisons-nous avec ? Nous les brûlons pour alimenter des systèmes inefficaces, souvent pour des usages éphémères, au lieu de chercher à maximiser leur valeur. Nous utilisons et épuisons des ressources précieuses dans des processus linéaires : extraire, consommer, jeter. Ce modèle n’est pas seulement insoutenable ; il est fondamentalement en contradiction avec les principes naturels des boucles énergétiques.

L’utilisation des combustibles fossiles est un exemple frappant de la manière dont nous accélérons l’entropie. En brûlant ces combustibles, nous libérons du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui contribue au changement climatique. Le changement climatique est un exemple de la manière dont l’augmentation de l’entropie peut avoir des conséquences désastreuses pour les écosystèmes et les sociétés humaines.

Koyaanisqatsi (1982): Documentaire expérimental aux images et à la bande son époustouflantes dépeignant la beauté de la Terre, mais aussi la grandiose épopée techno-industrielle de ces dernieres décénnies, symbole d’une entropie accélérée par l’Homme. Un film qui ne laisse personne indifférent. Si vous avez 1h20 devant vous, accrochez-vous. Réalisé par Godfrey Reggio

Boucler les cycles, ralentir le flux

La permaculture nous enseigne qu’il n’y a pas de « déchets » dans un système bien conçu. L’énergie, comme la matière, doit circuler, se transformer, être réutilisée. Plutôt que de lutter contre l’entropie ou de simplement la contempler, nous pouvons apprendre à travailler avec elle en ralentissant les flux et en bouclant les cycles.

Cela signifie :

  • Repérer les fuites d’énergie dans nos systèmes : On a un cours d’eau à sec en été mais qui est torrentiel au printemps: peut-on ralentir ce flux ? Diriger une partie de ces eaux vers un étang (et conserver son potentiel d’énergie ?), et limiter par là-même l’érosion ?
  • Maximiser chaque ressource : Un arbre n’est pas juste un arbre. Il peut être une source de fruits, de biomasse, de chaleur, de substrat pour la culture des champignons, un abri, une pompe à eau, une haie, un régulateur de température et, en fin de vie, un combustible ou un compost.
  • Concevoir en boucle : Créer des systèmes où chaque « déchet » devient une ressource pour un autre processus. Par exemple, utiliser les eaux grises pour irriguer, ou les déchets organiques pour produire du biogaz ou des œufs.
  • Ces principes de l’économie circulaire et de la permaculture sont essentiels pour ralentir l’augmentation de l’entropie. En adoptant ces approches, nous pouvons réduire notre consommation de ressources, minimiser nos déchets et créer des systèmes plus résilients.


Du plaisir à l’efficacité, de l’individuel au collectif

Ce n’est pas seulement une question de morale ou de responsabilité écologique. Ralentir, créer des systèmes résilients, c’est aussi une façon de mieux vivre. Réparer une vieille chaise ou mettre en place un design en permaculture n’est pas un acte héroïque, mais un moyen d’avoir du plaisir tout en minimisant l’énergie dissipée inutilement. Pourtant, ces gestes individuels, bien que précieux, ne suffisent pas à eux seuls si nous ne reconfigurons pas aussi les grands systèmes dans lesquels nous évoluons. Il s’agit de penser à l’échelle des écosystèmes humains : villes, réseaux de production, communautés rurales. Chaque choix individuel peut influencer le collectif, à condition d’aligner nos efforts avec des principes clairs et reproductibles.

Il est crucial de reconnaître que les solutions individuelles doivent être soutenues par des politiques publiques et des actions collectives. La transition vers une économie durable nécessite des changements à tous les niveaux, des choix individuels aux décisions politiques et économiques.

Un rôle à jouer

L’entropie nous rappelle que tout est impermanent, mais cela ne signifie pas que nous devons hâter la fin. Au contraire, notre rôle est de prolonger le cycle autant que possible. Non pas par résistance, mais par pragmatisme. Parce que faire durer, dans un monde limité, est la clé pour maintenir l’équilibre et préserver ce que nous avons encore.

Comme une flamme qu’on entretient lentement, chaque geste compte, non pour « sauver » la planète, mais pour aligner nos vies sur les réalités du monde naturel. Moins de gaspillage, plus de boucles. Moins de vitesse, plus d’efficacité.

Nous retournerons tous à la poussière d’étoiles, c’est vrai. Mais avant cela, nous pouvons prendre nos responsabilités. Tâcher de comprendre comment fonctionne ce monde, pour mieux le concevoir, et faire en sorte que ce voyage en vaille la peine et dure le plus longtemps possible. C’est ce qui nous a toujours séduit dans la méthodologie du design en permaculture: des principes clairs et souvent reproductibles/ adaptables, et nous essayons de vous les transmettre de façon divertissante, amusante lors de nos formations.

Cette vidéo, relatant un initiative de restauration écologique, symbolise pour moi comment les Hommes peuvent inverser les processus de dégradation environnementale. Des terres dégradées ou désertifiées représentent un état d’entropie élevée en raison de la perte de structure, de fertilité et de biodiversité. Les actions entreprises dans ce projet (captation de l’eau, plantation d’arbres et l’adoption de pratiques agroécologiques) visent à restaurer l’ordre et la fonctionnalité de ces écosystèmes, réduisant ainsi l’entropie locale.